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Quelques contes arabes
Parabole de la vraie science de la vie
Lorsque fut la sept cent soixante-quatorzième nuit, Shéhérazade dit :
On raconte que dans une ville d'entre les villes, où l'on enseignait toutes les sciences, vivait un jeune homme beau et studieux. Bien que rien ne lui manquât, il était possédé du désir de toujours apprendre d'avantage. Il lui fut un jour révélé, grâce au récit d'un marchand voyageur, qu'il existait dans un pays fort éloigné, un savant qui était l'homme le plus saint de l'Islam et qui possédait à lui seul autant de science, de sagesse et de vertu, que tous les savants du siècle réunis. Malgré sa renommée, ce savant exerçait le simple métier de forgeron, comme son père avant lui et son grand-père avant son père.
Ayant entendu ces paroles, le
jeune homme rentra chez lui, prit ses sandales, sa besace et son bâton, et
quitta la ville et ses amis sur le champ. Il marcha pendant quarante jours et
quarante nuits. Enfin il arriva dans la ville du forgeron. Il alla directement
au souk et se présenta à celui dont tous les passants lui avaient indiqué la
boutique. Il baisa le pan de la robe du forgeron et se tint devant lui avec
déférence. Le forgeron qui était un homme d'âge au visage marqué par la
bénédiction lui demanda :
_ Que désires-tu, mon fils ?
_ Apprendre la science. répondit le jeune homme.
Pour toute réponse le forgeron lui mit dans les mains la corde du soufflet de la
forge et lui dit de tirer. Le nouveau disciple répondit par l'obéissance et se
mit aussitôt à tirer et à relâcher la corde sans discontinuer, depuis le moment
de son arrivée jusqu'au coucher du soleil. Le lendemain il s'acquitta du même
travail, ainsi que les jours suivants, pendant des semaines, pendant des mois et
ainsi toute une année, sans que personne dans la forge, ni le maître, ni les
nombreux disciples qui avaient chacun un travail tout aussi rigoureux, ne lui
adressât une seule fois la parole, sans que personne ne se plaignît ou seulement
murmurât.
Cinq années passèrent de la
sorte. Le disciple, un jour, se hasarda timidement à ouvrir la bouche :
_ Maître...
Le forgeron s'arrêta dans son travail. Tous les disciples, à la limite de
l'anxiété, firent de même. Dans le silence il se tourna vers le jeune homme et
demanda :
_ Que veux-tu ?
_ La science !
Le forgeron dit :
_ Tire la corde !
Sans un mot de plus tout le monde reprit le travail. Cinq autres années
s'écoulèrent durant lesquelles, du matin au soir, sans répit, le disciple tira
la corde du soufflet, sans que personne ne lui adressât la parole. Mais si
quelqu'un avait besoin d'être éclairé sur une question de n'importe quel
domaine, il lui était loisible d'écrire la demande et de la présenter au Maître
le matin en entrant dans la forge. Le Maître ne lisait jamais l'écrit. S'il
jetait le papier au feu, c'est sans doute que la demande ne valait pas la
réponse. S'il plaçait le papier dans son turban, le disciple qui l'avait
présenté trouvait le soir la réponse du Maître écrite en caractères d'or sur le
mur de sa cellule.
Lorsque dix années furent
écoulées, le forgeron s'approcha du jeune homme et lui toucha l'épaule. Le jeune
homme, pour la première fois depuis des années, lâcha la corde du soufflet de
forge. Une grande joie descendit en lui. Le Maître dit :
_ Mon fils, tu peux retourner vers ton pays et ta demeure, avec toute la science
du monde et de la vie dans ton coeur. Car tout cela tu l'a acquis en acquérant
la vertu de la patience !
Et il lui donna le baiser de paix. Le disciple s'en retourna illuminé dans son
pays, au milieu de ses amis. Et il vit clair dans la vie.