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Quelques contes arabes
La princesse et la souris
Il était une
fois une princesse, fille de roi. Elle se prénommait Safia. Son père et sa mère
l'aimaient tellement qu'ils ne lui auraient rien refusé. Un jour, un magicien
arriva au palais en demandant asile : il prétendit être un savant professeur,
pourchassé par ses ennemis, et qu'il n'avait aucun endroit où aller pour écrire
un livre très important.
« Mon cher professeur », dit le Roi, « vous aurez ici une pièce à votre
disposition et tout ce que vous pourrez souhaiter pour pouvoir terminer votre
ouvre. »
Le magicien vint donc s'installer avec ses sortilèges et ses formules magiques,
en se faisant passer pour un savant professeur. Chaque vendredi, qui était le
jour de repos dans ce pays éloigné, le magicien présentait ses hommages au Roi
et à sa cour, mais il convoitait secrètement le trône royal.
Un jour il se déguisa en vieille femme et parcourut les jardins ombragés du
palais à la recherche de Safia.
« Princesse », dit-il, « permettez-moi d'être votre lingère, car je sais laver
le lin et la soie mieux que personne au monde, et je le ferais pour presque rien
si je pouvais servir votre Grandeur. »
« Chère femme, » dit la princesse Safia, « Je devine que vous êtes une pauvre
créature et votre situation m'afflige. Venez me voir dans mes appartements et je
vous donnerai du linge à laver. »
C'est ainsi que le magicien déguisé suivit la princesse à l'intérieur du palais,
et avant même qu'elle ait pu s'apercevoir de quoi que ce soit, il l'avait
enfermée dans un sac à linge et s'enfuit aussi vite qu'il le put. Il amena la
Princesse dans son appartement. Il murmura un sort qui la rendit aussi petite
qu'une poupée et il la cacha dans un placard.
Le vendredi suivant, il se présenta à la Cour comme d'habitude et trouva le
palais tout entier en proie au tumulte. « La Princesse Safia a disparu, et Sa
Majesté a presque perdu la tête. Tous les jeteurs de sorts ont essayé de
découvrir à l'aide de leurs pouvoirs magiques où elle pouvait être mais aucun
n'a trouvé quoi que ce soit », dit le Grand Vizir.
Le méchant magicien sourit car il savait que son sortilège était si puissant que
personne dans tout le pays ne pourrait le contrer tant qu'il serait en vie.
Le jour suivant, alors que la Reine était en train de pleurer, le magicien
entra, déguisé en lingère. Il la fourra dans un sac à linge et l'emporta dans
son appartement. Il la transforma en poupée pas plus grosse que son pouce.
« Ha-Ha ! », ricana le magicien, « maintenant je vais capturer le Roi et c'est
moi qui dirigerai le pays . »
Donc, le jour suivant, il attendit que le Roi parte se reposer, épuisé et
tourmenté par la disparition de la Reine, et, déguisé de la même façon, il
captura le Roi. Il le transforma lui aussi en poupée pas plus grosse que la
Reine et l'enferma dans le placard.
C'est alors que, toute la famille royale ayant disparu, les courtisans
commencèrent à pleurer et à gémir ; ils se rendirent en grand nombre à
l'appartement du magicien pour lui demander conseil.
« Vous êtes un homme de science », dit le Grand Vizir, « vous devez connaître
beaucoup de choses. Pourriez-vous nous dire ce que nous devons faire ? »
« Jusqu'à ce que le Roi, la Reine et la Princesse réapparaissent, laissez-moi
vous diriger », dit le magicien, et le peuple approuva. C'est ainsi que durant
une longue période le méchant magicien gouverna le pays et amassa une grosse
fortune car les habitants lui apportaient tout l'or du pays. Sans arrêt il
envoyait des troupes qui parcouraient le pays dans tous les sens à la recherche
du Roi, de sa femme et de sa fille. Mais bien sûr personne ne trouvait rien.
Cependant, un jour, une souris arriva jusque dans le placard où était cachée la
Princesse Safia. Quelle ne fut pas sa surprise d'entendre celle-ci lui dire, «
Souris, souris, creuse un trou dans ce placard pour que je puisse m'échapper,
car le méchant magicien qui m'a jeté ce sort ne me laissera jamais sortir, et je
mourrai ».
« Qui êtes-vous ? » demanda la souris.
« Mon père est le Roi et il vous récompensera généreusement. Vous aurez du
fromage à volonté pour le restant de vos jours », dit la Princesse.
« Qu'Allah ait pitié ! » dit la souris. « Sa Majesté le Roi a disparu, la Reine
aussi et le magicien est maintenant sur le trône ».
« Oh non », gémit la Princesse, « que leur est-il arrivé ? Le méchant magicien
les aurait-il aussi capturés ? »
« Attendez ici », dit la souris, « je vais jeter un coup d'oil dans les autres
parties du placard ». Et bien entendu, elle découvrit le Roi et la Reine
transformés en poupées minuscules sur l'étagère du haut. Mais ils étaient tout
raides, comme s'ils avaient été taillés dans le bois, car le magicien avait
utilisé pour eux un sort différent.
La souris retourna raconter sa triste découverte à la Princesse.
« Hélas, hélas », pleura la Princesse, « que puis-je faire alors, même si je
m'échappe, que m'arrivera-t-il ? »
« Princesse », dit la souris, « Je vais vous aider. Je vais aller voir une Femme
d'une grande sagesse qui vit dans un arbre creux. Ce soir je reviendrai vous
raconter ce qu'elle a dit. »
La Princesse se cacha à nouveau dans le placard et la souris disparut.
A l'intérieur d'un grand arbre qui avait vu passer beaucoup d'hivers vivait la
vieille Femme de grande sagesse. La souris arriva et lui demanda : « Mère,
dites-moi ce que je dois faire pour aider la fille du Roi qui a été transformée
en poupée par le magicien. Elle espère s'échapper par un petit trou que j'aurais
creusé dans la porte. J'ai découvert que le Roi et la Reine sont dans le même
placard, métamorphosés en poupées de bois pas plus grosses que votre pouce. »
« Dites à la fille du Roi qu'elle doit venir ici quand la lune sera haute et que
je l'aiderai », dit la Femme de grande sagesse.
La nuit tombée, la souris retourna dans le placard et creusa le bois pour
permettre à Safia de sortir par le trou. La Princesse était si petite qu'il lui
fut facile de courir hors du palais sans se faire remarquer par les gardes.
Quand la lune se leva et que le jardin fut inondé de lumière, la minuscule
Princesse se glissa dans l'arbre creux que lui avait montré la souris.
« Entrez, fille du Roi », dit la femme de grande sagesse. « J'ai trouvé la
réponse à vos questions dans mes livres de magie. » La souris faisait le guet à
côté pour s'assurer que personne n'arrivait, et Safia s'assit sur un petit
tabouret tandis que la vieille femme lisait son grand livre de magie.
« Vous devez marcher jusqu'à la croisée des chemins et dans un champ des
environs vous verrez un cheval de couleur orange, déjà sellé pour un voyage.
Sautez sur son dos, après lui avoir fait manger une graine d'herbe magique ».
« Où vais-je trouver la graine d'herbe magique ? », demanda la Princesse.
« Je vais vous la donner », dit la femme de grande sagesse, en cherchant dans un
tiroir.
« Que dois-je faire une fois sur le cheval ? » demanda Safia.
« Fille du Roi, vous devez lui murmurer à l'oreille, Emmène-moi, cheval orange,
là où pousse le poirier sacré pour que je puisse rapporter une poire de sa
branche la plus haute », dit la vieille femme en reposant son livre sur
l'étagère.
« Et ensuite je retrouverai ma taille normale ? » demanda la Princesse.
« Quand le méchant magicien sera mort et pas avant vous retrouverez votre taille
normale », dit la Femme de grande sagesse. « Vous devez remonter sur le cheval
orange et chevaucher jusqu'à ce vous atteigniez le puits de l'Ogre Vert.
Murmurez à l'oreille droite du cheval et vous y parviendrez avant même de le
savoir. Jetez la poire au plus profond du puits car l'âme du méchant magicien
est cachée dans cette poire et si elle tombe dans l'antre de l'ogre celui-ci la
dévorera. Ainsi le magicien mourra. »
« Qu'arrivera-t-il ensuite ? », voulut savoir la Princesse.
« Ensuite, toutes les créatures transformées par le magicien retrouveront leur
forme originelle et tout sera comme avant. » Et la femme de grande sagesse lui
mit une graine d'herbe dans la main.
La minuscule Princesse remercia donc la Femme de grande sagesse, dit au revoir à
la souris et courut au clair de lune jusqu'à la croisée des chemins.
Elle vit, comme le lui avait dit la vieille femme, un cheval de couleur orange,
avec une belle crinière et une queue dorées, qui attendait dans le champ,
harnaché et sellé.
« Cheval orange ! Cheval orange ! » l'appela Safia à voix basse. « Voici la
graine d'herbe magique. Emmène-moi jusqu'au poirier sacré, pour que je puisse
attraper la poire la plus haute ».
Le cheval de couleur orange baissa la tête pour avaler la graine. Puis il baissa
la tête à nouveau pour permettre à Safia de grimper sur son dos en se
cramponnant à la crinière dorée. Elle s'installa sur la selle du mieux qu'elle
put. Le cheval hennit deux fois, puis, agitant la tête, se mit à galoper plus
vite que le vent.
En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, Safia se retrouva au milieu d'un
beau verger rempli de cerisiers, de pruniers et d'arbres couverts de baies mais
il n'y avait là qu'un seul poirier.
« Le voici », dit le cheval, et debout sur la selle Safia tendit le bras vers
les branches. Elle attrapa une poire sur la plus haute branche et la déposa
délicatement dans la besace.
« Emmène-moi jusqu'au Puits de l'Ogre vert », murmura-t-elle à l'oreille droite
du cheval. Le cheval orange fit un signe de la tête et s'élança tel le vent ;
ses sabots allaient si vite qu'ils semblaient ne pas toucher terre. Derrière
trois palmiers, il y avait un puits. Au clair de lune, Safia vit, qu'à
l'intérieur du puits, il y avait la tête d'un ogre, aussi grosse qu'un potiron
avec des yeux énormes et tout ronds et une grande bouche. Elle se dépêcha de
prendre la poire contenant l'âme du magicien et la jeta directement dans la
bouche de l'Ogre vert. Immédiatement l'Ogre dévora la poire et Safia se mit à
grandir. Elle avait désormais retrouvé sa taille normale - le méchant magicien
était mort.
Le cheval la ramena à la croisée des chemins et alors qu'elle s'apprêtait à le
remercier il disparut dans un grand bruit de tonnerre.
Elle courut jusqu'au palais puis dans la pièce où sa mère et son père étaient
emprisonnés. Elle découvrit que le Roi et la Reine, ayant repris leur taille
normale, étaient très intrigués de se retrouver dans un placard. Elle leur
expliqua rapidement toute l'histoire.
« Appelez le Capitaine de la Garde ! », ordonna le Roi. « Arrêtez le magicien et
qu'il soit décapité ».
Mais quand les soldats arrivèrent dans la chambre royale pour arrêter le faux
roi, ils s'aperçurent qu'il était mort au moment-même où l'Ogre Vert avait mangé
la poire, comme l'avait prédit la Femme de grande sagesse.
Il y eut de grandes réjouissances au palais et Safia décida d'aller remercier la
Femme de grande sagesse qui vivait dans l'arbre creux. Mais de l'arbre il n'y
avait plus trace - il avait disparu, c'était comme s'il n'avait jamais existé.
Safia n'en croyait pas ses yeux, elle regardait partout lorsqu'un beau et grand
jeune homme, richement vêtu, s'approcha d'elle.
« Soyez bénie, chère Princesse », dit-il, « car c'était moi la souris, victime
d'un enchantement, qui a creusé le trou qui vous a permis de vous évader et
d'aller chercher la poire qui contenait l'âme du magicien ».
« Ainsi donc c'était vrai, ce n'était pas un rêve ! » s'écria Safia. « Je venais
trouver la Femme de grande sagesse et elle a disparu ».
« Elle vit dans un arbre enchanté », expliqua le jeune homme, « et comme elle
veut désormais séjourner ailleurs, l'arbre a été déraciné et déplacé sans qu'il
en reste aucune trace ».
« Venez avec moi voir mon père afin qu'il puisse vous remercier, » dit Safia.
Le jeune homme l'accompagna donc et en s'agenouillant devant le Roi il expliqua
qu'il était un prince qui avait été transformé en souris par le magicien.
« Vous resterez ici et épouserez ma fille », promit le Roi, « et vous dirigerez
le royaume après moi, puisque ne n'ai pas de fils ».
Et c'est ainsi que les choses se passèrent, les fêtes du mariage durèrent sept
jours et sept nuits, et Safia et son époux vécurent heureux durant de longues
années